Biographie
Christiane Yandé Diop est née le 27 août 1925 à Douala (Cameroun) d’une mère Camerounaise, Maria Mandessi Bell, et d’un père Sénégalais, Mamadou Diop. Elle grandit au Sénégal et poursuit ses études en France, où elle rencontre Alioune Diop. Christiane Diop appartient à la première élite féminine francophone d’Afrique subsaharienne, à l’instar de sa sœur aînée, Suzanne Diop, première magistrate, qui vit toujours à Dakar. Sa mère, Maria Mandessi Bell, fille de David Mandessi Bell, riche exportateur de bananes, fut envoyée étudier en Allemagne en 1912, à Hambourg et à Eberswalde.
En 1945, Christiane épouse à Paris Alioune Diop, professeur de lettres, ancien directeur de cabinet du gouverneur de l’AOF, converti au catholicisme. Il repose au cimetière catholique de Bel-Air à Dakar.
Madame Diop participe à de nombreux colloques et conférences consacrés à l’identité Noire. En 2005, elle prend part au colloque célébrant le bicentenaire de la première république noire, Haïti. Marraine de nombreuses manifestations culturelles sur le continent (Burkina Faso, Cameroun, etc.), elle assiste également au colloque de Dakar en 2010, qui rend hommage au centenaire d’Alioune Diop, en présence de nombreuses sommités du monde littéraire, parmi lesquelles Wole Soyinka, prix Nobel de littérature.
Distinctions
- 2009 : Chevalier de la Légion d’honneur (palais de l’Élysée).
- 2019 : Grande Croix de l’Ordre national du Lion (Sénégal), remise par l’ancien président Macky Sall, dans les locaux de l’Organisation internationale de la Francophonie, à l’occasion du 70e anniversaire de Présence Africaine.
- 2021 : Officier de la Légion d’honneur (Hôtel de Ville de Paris).
«Présence Africaine» : la mémoire de l’histoire
Le couple :Christiane et Alioune Diop.Paris
En 1949, son époux, Alioune Diop, fonde la maison d’édition Présence Africaine, rue des Écoles, près de la Sorbonne. Le nom même de la maison révèle l’ambition de son projet. Il crée ensuite la revue Présence Africaine, qui offre à plusieurs générations d’hommes et de femmes politiques, d’écrivains et d’artistes d’Afrique une voix internationale et un espace privilégié d’échanges, d’analyse et de réflexion à une époque où la culture africaine était méconnue ou sciemment passée sous silence dans les ouvrages “d’histoire universelle “ et invisible dans les manuels scolaires.
Soutenue par son épouse, Alioune Diop mène cette œuvre magistrale de bâtisseur du “donner et du recevoir », selon la formule de Léopold Sédar Senghor. Dans un article retentissant en langue peule, qu’il maîtrisait, il expose les raisons profondes qui l’ont conduit à ouvrir une maison d’édition au bord de la Seine :
«Niam ngoura wonna ngam payaa » (« manger pour se nourrir et non pour s’engraisser »).
Visionnaire, il incarne le militant engagé de la période coloniale, revendiquant la reconnaissance de l’identité Noire loin des clichés racistes. Dans cette effervescence marquée par un engagement puissant et le foisonnement des idées, Christiane Diop représente le pôle sûr et affectif des réunions où se rassemblent écrivains, étudiants et responsables politiques ; elle y assure la cohésion. Leur maison devient un second foyer pour ces militants de la première heure. Elle oriente, conseille et tisse des liens étroits avec toute une génération d’hommes et de femmes mobilisés pour la reconnaissance des cultures africaines, caribéennes et afro-américaines.
« Derrière chaque grand homme se cache une femme d’exception », selon le proverbe souvent attribué à Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.

Famille Diop: Mme Marie-Aida Diop-Wane, Mme Christiane Diop, Mme Suzanne Diop,(sa fille)à l’arrière plan : Prof.Ngallaso, Prof. Théophile Obenga, Prof. Tidjani Serpos Dakar 2010 .©Dr. Herzberger-Fofana
Conseillère de son mari, Christiane Diop codirige la maison d’édition. Le premier titre publié est l’ouvrage du missionnaire belge Placide Tempels, La philosophie bantoue. C’est à Présence Africaine que se rencontrent les chantres du mouvement de la Négritude — Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, Jacques Rabemananjara — mais aussi l’élite intellectuelle de la période coloniale et les membres européens du comité de soutien : Jean-Paul Sartre, André Gide, Albert Camus, Emmanuel Mounier, Théodore Monod, Michel Leiris, et le peintre Pablo Picasso, auteur de l’affiche du Congrès International des Écrivains et Artistes Noirs (1956) et de celle du Festival Mondial des Arts N… (Dakar, 1966). Tous témoignent d’une solidarité concrète avec les intellectuels Africains.
Pratiquement tous les classiques de la littérature francophone paraissent chez Présence Africaine : Amadou Hampâté Bâ, Mongo Beti, Ousmane Sembène, Sony Labou Tansi, Awa Keïta, ou encore Ngũgĩ wa Thiong’o (traduction de ses œuvres). La maison publie également des figures emblématiques des luttes d’indépendance : Frantz Fanon, Patrice Lumumba, Sékou Touré, Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Mário Pinto de Andrade, Marcelino dos Santos, etc.
Christiane Diop est la fée du logis pour tant d’écrivains du monde Noir ou d’ascendance Africaine, dont des Afro-Américains souvent reçus comme hôtes: Richard Wright, Joséphine Baker, W. E. B. Du Bois, Malcolm X, James Baldwin; ou des auteurs Antillais tels que Maryse Condé, Édouard Glissant, Joseph Zobel. Par son hospitalité et sa vigilance, elle encourage, veille, et demeure surtout la mémoire vivante de ces militants à qui elle rend leur dignité. C’est dans cette atmosphère de militantisme culturel que la famille Diop eut le courage d’imprimer la thèse du savant sénégalais Cheikh Anta Diop, Nations Nègres et Cultures, refusée par la Sorbonne puis par l’ensemble des grandes maisons d’édition parisiennes.
Après le décès de son époux en 1980 — auquel l’université de Bambey (Sénégal) rend hommage en portant son nom — Madame Christiane Diop prend les rênes de la maison d’édition et en devient la directrice.
Alioune Diop
Madame Christiane Diop est la première femme Noire à diriger une maison d’édition à Paris. Elle se bat, contre vents et marées, pour que Présence Africaine ne tombe pas dans l’escarcelle des grands groupes parisiens et ne disparaisse à jamais. Elle maintient le prestige de cette grande maison qui a été la voix des cultures Noires.
Située au cœur du Quartier latin, Présence Africaine est une fenêtre ouverte sur la mémoire de l’histoire de la diaspora africaine, autant sur le plan géopolitique que littéraire. C’est aussi un passage obligé pour toute personne — écrivain·e, chercheur·e ou historien·ne — en quête des péripéties et soubresauts qui vont de la période coloniale aux temps post-indépendances. Présence Africaine est le creuset des grands mouvements géopolitiques et des luttes anticoloniales. Sa mission : faire entendre la voix des auteurs Africains et de leur diaspora, les faire connaître — car, comme le dit Christiane Diop, « nous n’avions pas voix au chapitre ».
Revue d’avant-garde, Présence Africaine a offert aux écrivains et artistes d’ascendance africaine un espace d’expression décisif pour la préservation de la culture Noire.
Christiane Diop en est le phare : par sa présence discrète, elle a illuminé cette institution qui a contribué à l’éveil de la conscience africaine.
Hommages
Au colloque de Dakar en 2010, le chef de l’État, Me Abdoulaye Wade, rend un vibrant hommage à Mme Christiane Diop :
« Ma sœur, vous avez, avec une présence lucide et tenace, tenu debout Présence Africaine pour que la maison garde son éclat des jeunes années. Vous vous êtes battue pour que ne soit pas trahi le serment fait par les intellectuels africains devant Alioune Diop. »
Le ministre de la Culture lui emboîte le pas, en concluant :
« Permettez-moi, avant de terminer, et à la suite du Chef de l’État, de rendre un hommage solennel à Madame Yandé Christiane Diop, l’épouse, l’héritière, celle qui aura eu, de l’avis unanime, à poursuivre, avec courage, abnégation et lucidité, l’aventure de Présence Africaine pour que cette maison symbolique continue d’entretenir la flamme de la pensée positive, au bénéfice premier de l’Afrique. »
Conclusion
En ce jour béni de son 100e anniversaire, nous joignons nos voix pour remercier Madame Christiane Yandé Diop. Grâce à sa résilience et à sa détermination, elle a su faire fructifier l’héritage précieux légué par son époux.
À son tour, elle lègue à la postérité une richesse incommensurable — un trésor éditorial fait de livres et d’ouvrages de référence publiés par Présence Africaine.
Madame, vous avez porté haut le flambeau de la culture du monde Noir. Durant quatre décennies, vous avez défendu la dignité des peuples africains et de leurs descendants et préservé cet héritage. Nous vous en remercions très sincèrement.
Au nom de toutes celles et tous ceux qui admirent et respectent l’immense travail éditorial que vous avez accompli, nous vous souhaitons un joyeux anniversaire.
Sources
- AOF = Afrique-Occidentale française.
- Dr Pierrette Herzberger-Fofana, « Alioune Diop, fondateur de la maison d’édition Présence Africaine », 08.08.2010, grioo.com ; afrology.com (août 2010).
- Placide Tempels, La Philosophie bantoue, trad. du néerlandais par A. Rubbens, Présence Africaine, 1949 ; 4e éd., 2013, 128 p.
- Dr Pierrette Herzberger-Fofana, Littérature féminine francophone d’Afrique noire, suivi d’un Dictionnaire des romancières, Paris:Harmattan 2001, 570 p.
Dr Pierrette Herzberger-Fofana
●Ex Députée au Parlement Européen (MdPE) www.herzberger-fofana.eu
● Lauréate du « Grand Prix du Président de la République du Sénégal pour les Sciences » (Dakar, 30 juin 2003), pour Littérature féminine francophone d’Afrique, suivi d’un Dictionnaire des romancières.https:///www.grioo.com/info11494.html
● Allemagne : Dr. Pierrette Herzberger-Fofana, Citoyenne d’honneur de la ville d’Erlangen | EU Briefs – Actualités Européennes (2025) https:/ eubriefs.com/?p=18337
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